mercredi 16 octobre 2013

"Mauvaise étoile" de R. J. Ellory (Sonatine)

Certains débutent mal dans la vie, ainsi en est-il pour Elliot Dantziger (Digger) et Clarence Luckman (Clay), demi-frères grandissant dans l'Amérique des années 60. 1 an et 5 mois les séparent, et à part le même bleu des yeux, ils ne sauraient être plus différents, l'aîné frêle mais bagarreur, très protecteur envers son cadet, un rêveur se réfugiant dans la lecture. Ils ne profitent guère longtemps de leur mère, avant même qu'ils n'aient atteint l'âge de raison, l'un des pères la poignarde et 2 jours durant, Elliott et Clarence veillent sa dépouille, la croyant juste endormie. Suivront une enfance et une adolescence chaotiques, de centre de redressement en établissement pénitentier, rythmées par les réprimandes, les humiliations et les coups, Clay toujours dans l'ombre rassurante de Digger. Pour eux le mot liberté est un fantasme, un concept inimaginable jusqu'à leur rencontre avec Earl Sheridan.
Earl Sheridan est un tueur en série, destiné à la peine capitale et par un sombre hasard, en transfert pour une nuit sous le même toit que celui des demi-frères. Or Earl ne veut pas mourir de suite, il s'évade, prenant en otages Digger et Clay. Débute alors une fuite sauvage et sanglante, jalonnée de cadavres partout où passent les fugitifs, ils deviennent les ennemis publics à abattre, police, FBI... tous les uniformes bleus et costards noirs sont à leurs trousses. Alors que Digger voit en Earl une idole, un père spirituel  révélant en lui sa vraie nature de psychopathe, Clay est tétanisé par cette incarnation du mal qui va lui enlever la seule personne qu'il aime depuis la mort de sa mère, son demi-frère. Comment cette chevauchée va-t-elle se poursuivre. Ensemble? Séparément? Combien encore d'atrocités, de bains de sang?
C'est à un road movie que ce bien aimé R. J. Ellory nous convie ici. Plongée dans l'Amérique profonde, ses petites villes perdues dans de grands espaces, rencontre avec ses autochtones, pour la plupart de gentilles personnes travaillant dur et le coeur sur la main placées là par malchance. "Mauvaise étoile" est un digne et magnifique roman noir sur les oubliés de l'amour, tour à tour violent et émouvant, au style direct très imagé.

vendredi 20 septembre 2013

"What remains" (BBC)


Coulthard Street est une tranquille rue de Londres avec des pavillons plutôt cossus. C'est dans l'un d'eux que David Basgallop a choisi de planter le décor de sa nouvelle mini série "What remains". 5 familles peuvent y cohabiter, pour l'heure un professeur de maths aussi austère que secret, un éditeur de presse tentant de refaire sa vie amoureuse, un couple orageux de lesbiennes branchées et tout nouveaux venus, de jeunes amoureux futurs parents. Il resterait un appartement vacant depuis longtemps mais personne ne semble s'en soucier. Or une infiltration d'eau va tout bouleverser. Que découvre-t-on dans le grenier? Les restes momifiés d'une jeune femme, la dernière occupante de ce fameux appartement. Elle s'appelait Melissa Young, et en avait hérité après la mort de sa mère. C'est l'inspecteur Len Harper qui prend en charge l'enquête, le début seulement car il est au seuil de la retraite. Néanmoins, devant le vif désintérêt de ses collègues pour en apparence un suicide, il va persévérer à l'insu de tous et pénétrer dans l'intimité de ce pavillon et de ses habitants.
"What remains" est donc un huis-clos, un jeu de Cluedo. Qui en voulait à cette jeune femme trop discrète qui aurait tant voulu lier des amitiés au lieu d'être un sujet de moqueries ou une passade d'une nuit? Mais c'est aussi une peinture de société, un constat sur la solitude et l'indifférence en milieu urbain.Len Harper, esseulé dans sa nouvelle vie de retraité, perce peu à peu les secrets nichés dans chacun de ces foyers et il faut bien avouer qu'ils sont plutôt glauques ou malsains. Quant au suspens, il est pour le moins rebondissant, même si le nombre de suspects est restreint, l'assassin n'est finalement jamais celui auquel on a pensé.

jeudi 12 septembre 2013

"Lulu femme nue" d'E. Davodeau (Futuropolis)





E. Davodeau je l'aime, depuis longtemps, depuis "Le constat" sorti en 1996 chez Dargaud. J'aime ses histoires de la France profonde, ses chroniques de gens ordinaires qui dans un quotidien gris s'efforcent de trouver une note colorée aussi fugitive soit elle. Ses albums sont toujours doux amers, avec des touches d'humour, de tendresse mais sachant chatouiller les points sensibles de la société contemporaine.
"Lulu femme nue" est une petite merveille du genre, impossible à refermer avant la planche finale, j'ai bien fait d'attendre que l'histoire soit complète, 2 albums.
Lulu est mariée, 3 enfants, et après tant d'années à les élever, impossible de retrouver un emploi. Son mari Tanguy est plutôt du style Bidochon, quant aux mômes, ils n'ont plus vraiment besoin qu'on les borde le soir. Rien de bien palpitant dans la vie de Lulu donc, et le monde du travail qui ne veut lui accorder aucune chance.
Un jour, Lulu trouve le courage de faire ce que peu ferait : sur un coup de tête et au hasard d'une rencontre, elle ne rentre pas à la maison. Durant presque 2 semaines, elle va errer le long de la côte, se vider la tête, vivre des moments inoubliables, d'autres difficiles, croiser des destinées autant à la dérive qu'elle, réapprendre à rire, à aimer, à transmettre... loin de l'agitation que son escapade suscite auprès des siens et de ses amis.
C'est lors d'une soirée que toute son aventure est révélée, cela se passe chez elle, les proches sont réunis pour parler de Lulu. Cela ressemble à une veillée funèbre, avec les bons et les mauvais souvenirs, du rire et des larmes, mais qui est étendu dans la maison?
E. Davodeau offre ici un magnifique portrait de femme désabusée mais courageuse qui pourrait être notre voisine, mais présente également toute une galerie de personnages secondaires attachants, plus ou moins compréhensifs envers l'escapade de Lulu mais tous touchés par cette espèce d'appel au secours. Son trait épuré et ses couleurs douces soulignent la simplicité et l'humanité de l'histoire qui ô jolie surprise devrait l'an prochain sortir adaptée au grand écran.


mercredi 28 août 2013

"Canada" de R. Ford (Ed. de l'Olivier)

Berner et Dell Parsons ont 15 ans en 1960. Ils sont jumeaux et vivent dans un coin perdu du Montana, Rock Spring. Leur famille est en apparence banale, ni dans la pauvreté extrème ni dans l'opulence, juste en dessous du niveau moyen, c'est à dire avec des dettes sans être à la rue. Leurs parents forment un couple mal assorti, lui un grand beau gosse, ancien de l'Air Force, d'un naturel charmeur et insouciant, elle, petit bout de femme introvertie sans grand charisme. Ils s'aiment tous beaucoup pourtant, chacun à leur manière.
Par un beau matin d'août, alors que les jumeaux dorment encore, les parents partent en virée dans l'Etat voisin, le Dakota du Nord, pensant avoir trouvé la solution pour renflouer leurs comptes. Mais qu'a-t-il bien pu se passer dans leurs têtes? Des gens si ordinaires, pas super honnêtes si on songe au trafic de viande du père, mais pas des truands non plus. Ne les voilà-t-il pas qu'ils se prennent le temps d'une journée pour Bonnie Parker et Clyde Burrow, en braquant une banque pour, en grands amateurs qu'ils sont, à peine une poignée de dollars (même pas 3000), et surtout, pour se faire arrêter quelques jours après chez eux, sous les regards ahuris de leurs enfants.
Livrés à eux-même, les autorités étant plus préoccupés par le sort des parents braqueurs, Berner et Dell décident de se séparer pour échapper à l'orphelinat, Berner fugue et Dell se laisse amener au Canada par une vague connaissance de sa mère. Là il travaille pour un homme étrange et fascinant, propriétaire d'une maison close, et c'est dans ce pays étranger, dans un environnement rude et des conditions spartiates que le tout jeune homme va prendre de la maturité et commencer une nouvelle vie.
R. Ford a ainsi choisi comme narrateur Dell pour son nouveau et puissant roman. "Canada" est autant une chronique de l'Amérique profonde qu'une interrogation sur la famille, sur la vie, qu'un parallèle de sa propre vie (cf la critique parue dans Libération du 18 août 2013). La première moitié est consacré à la vie des Parsons avant le coup de folie des parents, et la seconde raconte comment un ado peut survivre à un tel évènement, à l'éclatement de la cellule familiale, à son passage à l'âge adulte. "Canada" est une lecture magnifique,grave et émouvante.

lundi 29 juillet 2013

"Only God forgives" de N. Winding Refn

Ce film là, je l'attendais avec impatience depuis, et oui, "Drive", qui avait été un grand moment de cinéma à sa vision. "Only God forgives" est aussi scotchant par sa force, sa violence, son esthétique, sa musique.
Bangkok et ses bas fonds, Julian gère une salle de boxe pour mieux cacher d'autres négoces occultes. Il y vit avec son frère aîné Billy, qui a un certain penchant pour les prostituées, mineures ce qui en Thaïlande ne pose aucun problème. Un soir un de ses ébats tournent au cauchemar, il assassine une de ces jeunes malheureuses. Entre alors en scène un le flic, plus vengeur solitaire qu'enquêteur, qui brandit un sabre au lieu d'un automatique. Vengeance, Billy est retrouvé mort. Vengeance encore quand débarque la mère de Billy et Julian, Crystal. Quel personnage celle là! Belle, blonde, glaciale, plus mère castratrice que protectrice, la cougar à fuir mais qui hypnotise, semblant tout droit sortie de la mythologie grecque. Sensée récupérer le corps de son fils, elle réclame justice sanglante à son petit dernier.
Tout le film tourne autour de la vengeance. Le scénario est simple, digne de tout film sur la mafia, mais N. Winding Refn est un virtuose dans l'art de la narration : lenteur des séquences, plans serrés, musique obsédante... Il semble ne rien se passer mais on perçoit le malaise, et soudain la violence explose. On se croit dans un mauvais rêve et au détour d'une respiration le cauchemar vous coupe le souffle. Et que dire de l'interprétation sinon que R. Gosling est une fois de plus stupéfiant, même si on a l'habitude de voir sa petite gueule d'ange soudain extérioriser sa rage intérieure, mais le clou est bien K. Scott-Thomas, hallucinante et magistrale.


lundi 15 juillet 2013

"Qui?"/J. Expert (Sonatine)

En mars 1994 s'est déroulé un terrible fait divers à Carpentras. Laetitia Doussaint, une jolie môme de 12 ans a été retrouvée morte, violée, défigurée, dans les bois alentours. L'affaire a fait la une des médias et a secoué à jamais toute une ville. Un suspect a été appréhendé, puis un deuxième qui s'est suicidé, aucun n'était le bon. Près de 20 ans après toujours aucun coupable arrêté.
2013, l'émission "Affaire non résolue" revient sur cette sombre histoire. C'est que dans l'ombre, certains n'oublient pas. Le commissaire Bouvard, persuadé d'avoir croisé l'assassin entre les couloirs du poste de police. Et Eugénie Vasseur, qui faisait partie du cercle d'amis de la famille Doussaint. En douce, tous 2 se rencontrent et partagent leurs intuitions, leurs doutes. Tout va se jouer le soir de la diffusion de l'émission, les souvenirs vont ressurgir et la vérité éclater.
"Qui?" est divisé en chapitres avec à chaque fois un narrateur différent. Le lecteur découvre vite qui est l'assassin puisqu'il se confesse. J. Expert nous fait partager l'intimité de 4 couples lors de ce qui pourrait être une banale soirée plateau télé. Comment un crime sordide a pu les rapprocher, les éloigner, les hanter. Il décortique aussi les coulisses d'un fait divers, le traumatisme, les suspicions les uns envers les autres, le déballage médiatique avec le talent de journaliste qu'on lui connaît. Le style est simple, précis, imagé, efficace. Portrait sans concession de la France profonde, cela aurait pu se arrivé à côté de chez nous.


lundi 8 juillet 2013

"Top of the lake" mini série de J. Campion (2013)




Quand de grands réalisateurs se détournent des grandes toiles pour se tourner vers le petit écran, cela vaut souvent le détour. Là c'est la très rare Jane Campion qui nous offre un petit bijou de mini série, "Top of the lake".
 Durant à peu 6 heures, nous sommes transportés quelque part dans le sud de la Nouvelle Zélande, entre lac, montagnes et forêts, dans une nature aussi belle que sauvage, à la rencontre d'une population aussi résignée qu'illuminée. C'est dans ce milieu que revient Robin Griffin, autant pour s'occuper de sa mère que pour chercher un second souffle. Elle est inspectrice mais a besoin de recul par rapport à son travail. Mais point de répit pour elle, les faits divers ont la fâcheuse tendance à se produire partout même au fin fonds du monde. Tui, une adolescente, disparaît, or c'est la fille adoptive du parrain local, Matt Mitcham, et pour couronner le tout, elle est enceinte.
L'enquête de Robin s'annonce des plus frustrantes : difficile de pénétrer des clans qui tentent de survivre dans un environnement où la nature ne fait aucune concession. Le clan Mitcham tout d'abord, à la tête de l'économie grâce à ses trafics, où chaque membre semble lié à la vie à la mort et surtout tremblant devant leur chef Matt. Puis le clan ou plutôt la communauté qui s'est depuis peu installée sur les rives (et propriétés des Mitcham) du lac : des femmes exclusivement, blessées par la vie, en quête de paix intérieure, menées par GJ, une étrange créature à la blanche chevelure, au regard tour à tour perçant ou absent, mi gourou New Age mi figure maternelle (à qui on a parfois envie quand même de retourner une baffe).
Jane Campion excelle dans l'art de poser une ambiance avec des séquence lentes, de nous donner envie de nous attacher à certains personnages, d'en détester d'autres. Nous sommes à cent lieues des séries policières    où en 40 mn tout est achevé. "Top of the lake" n'est pas sans rappeler le culte "Twin Peaks" par son côté étrange, onirique. Quand à son choix des acteurs, il est remarquable, Elizabeth Moss (Robin Griffin)est touchante et captivante ; Peter Mullan (Matt Mitcham) surprenant ; et mention spéciale à Holly Hunter (GJ) absolument ahurissante.
Pour ceux qui ne téléchargent pas (hum c'est possible?), c'est Arte qui a acheté les droits de la série, il faudra juste attendre cet automne.