dimanche 30 octobre 2011

"Le rêve du Celte" de M. Vargas Llosa (Gallimard)

Regardez cet homme à l'élégance désuète, au visage émacié, inquiet. Très belle photo sépia. C'est Roger Casement (1864-1916), tombé dans les oubliettes de l'Histoire. Plus désormais, et ce grâce à la plume déliée de  M. Vargas Llosa dont il fait le sujet principal de son nouveau roman "Le rêve du Celte".
Roger Casement a aimé plus que tout la liberté. Né près de Dublin, devenu diplomate, son existence entière ne sera que souffrances, morale et physique. Homosexuel en un temps où vous pouviez finir en prison pour ce genre de préférence, ses amours seront toujours cachées, brèves et honteuses. Ses fonctions de consul vont le mener dans des pays où il va user sa santé, plus d'un serait depuis bien longtemps rentré sous des latitudes plus clémentes, pas Roger Casement, son combat pour la liberté des hommes passait avant tout.
Tout d'abord nommé au Congo, il est de suite horrifié par les pratiques de la colonisation belge, la cruauté des contremaîtres, l'asservissement des autochtones, tout ça pour récolter le caoutchouc, matière première alors considérée précieuse. Il va passer des mois et des mois à parcourir chaque exploitation, à tenter de faire témoigner les esclaves, à noircir des pages et des pages qu'il garde et cache soigneusement, mais aussi à lutter contre les fièvres, la malaria et autres maladies tropicales. Son rapport est publié en 1904.
On l'envoie ensuite au Pérou dans la région du Pitimayo, enquêter sur les sombres agissement de la Peruvian Amazon Company, entreprise cotée à Londres. Roger Casement est témoin des mêmes atrocités qu'au Congo, et c'est avec un acharnement toujours aussi intact qu'il va les dénoncer, malgré une santé déclinante, et le climat de la forêt amazonienne ne va rien arranger.
Revenu dans sa patrie d'origine, c'est un autre combat qu'il va mener. L'Irlande est en pleine lutte pour son indépendance, d'anticolonialiste il va devenir nationaliste et rechercher l'alliance des Allemands. On est en pleine Grande Guerre, cela ne va pas plaire à tout le monde. Roger Casement est emprisonné, accusé de haute trahison et pendu le 3 août 1916.
C'est en lisant Conrad que M. Vargas Llosa a eu connaissance de ce personnage historique. Roger Casement et Conrad se sont rencontrés au Congo, leur rencontre impressionna autant l'un que l'autre. Il est écrit en couverture que c'est un roman, mais "Le rêve du Celte" est la très émouvante biographie d'un grand homme, avec ses passions, ses tourments et ses démons. Ah si l'Histoire pouvait toujours être ainsi contée...

dimanche 23 octobre 2011

"Drood" de D. Simmons (R. Laffont)

Cela faisait fort longtemps qu'un D. Simmons n'avait point hanté mes nuits. Il a toujours l'art et la manière de subjuguer, quel que soit le genre qu'il décide de célébrer, space opéra, fantastique, thriller...
Avec "Drood", il offre un puissant hommage à la littérature. Décor : Londres. Temps : les années 1865-1870. Personnages : rien de moins que Charles Dickens et Wilkie Collins. Je n'ai malheureusement encore rien lu du légendaire premier, en revanche les romans du second, plusieurs oui. La vie de C. Dickens a inspiré de nombreux biographes, néanmoins ses dernières années peu ; c'est sur cette période plutôt laissée dans l'ombre que D. Simmons s'est plu à laisser courir son imagination débordante, en prenant pour point de départ le spectaculaire accident de train dont a été victime l'illustre écrivain en 1865.
Tout est vécu au travers des yeux de W. Collins, tout aussi prolixe mais moins reconnu que C. Dickens. Ils sont proches collaborateurs; autant amis intimes (le frère de l'un a épousé la fille de l'autre) au quotidien que concurrents admiratifs dans la vie littéraire. A noter au passage que D. Simmons retrace à merveille l'univers des écrivains à succès, les coulisses d'une revue, d'une tournée, et l'on croise furtivement quelques figures de ce temps-là.
C. Dickens a laissé un roman inachevé, "The mystery of Edwin Drood", ah Drood, c'est lui qu'a choisi D. Simmons pour bouleverser la vie de nos 2 compères. Il apparaît lors de ce fameux déraillement de train, C. Dickens le voit se pencher sur les victimes, les accompagnant au-delà de la mort, il n'a alors de cesse de le retrouver et transmet son obsession à W. Collins. C'est le début d'une poursuite dans les bas-fonds de Londres, jusqu'aux catacombes, on plonge alors dans le fantastique et les hallucinations. Faut avouer que ce cher narrateur est loin d'être du genre sobre, il a une addiction certaine au laudanum (qu'il absorbe par tasses entières) qui brouille ses pensées, ses actes et donc ses écrits. Que reste-t-il de véridique dans ce journal posthume?
"Drood" est un magistral pavé, une belle peinture du milieu littéraire à l'époque victorienne et une réflexion sur l'écrivain, son travail, ses démons intérieurs.

lundi 10 octobre 2011

"Drive" de N. Winding Refn

Beaucoup de noms illustres dans le générique de "Drive" : James Sallis pour la base historique, Angelo Badalamenti pour la musique, et pour les seconds rôles, des comédiens issus de séries adorées (Bryan Cranston, Christina Hendricks, Ron Perlman). Plutôt bien parti pour que j'aime d'emblée.
La séquence pré-générique (de presque 10 minutes), rien qu'à elle vaut le détour, et est en bonne voie pour devenir un moment d'anthologie. On peut y voir un hommage à W. Friedkin et son "Police Fédérale Los Angeles" avec une course poursuite en voiture des plus efficaces, presque muette, tout dans le bruitage et le montage.
En une séquence, le portrait du héros est posé : jeune, charismatique, la blondeur d'un ange, un sang-froid impressionnant, pas de roulage de mécanique, pas beau parleur, lui et sa voiture ne font qu'un. Son nom, jamais dévoilé. Il est cascadeur à Hollywood et garagiste, et à ses heures perdues chauffeur, mais pas pour les célébrités, pour les truands.
Un jour, il fait la connaissance de sa nouvelle voisine, on dirait une petite fleur des champs, simple et adorable. Elle est la maman d'un bambin aussi chou qu'elle. Un regard, un sourire et une belle histoire pourrait commencer. Le hic : le papa est en détention, et justement il sort. Oh ce n'est pas le pire des méchants, il adore sa famille et veut tout faire pour retrouver le bonheur d'antan, mais parfois on ne sort pas seul de prison, les dettes suivent. Et notre héros, en chevalier servant va voler à leur secours en proposant ses services de conducteur hors pair.
"Drive" mérite amplement son Prix de la Mise en Scène décerné au dernier Festival de Cannes. N. Winding Refn alterne avec maestria les scènes d'action, de violence (qui arrivent sans crier gare) et d'amour (tout en délicatesse, pas de sexe tapageur, pas de sexe tout court d'ailleurs, c'est la douceur des premiers émois). Le genre de film qui marquera l'année, voire la décennie.